"Utiliser la raison pour prouver la Loi, utiliser la sagesse pour expliquer clairement la vraie image, utiliser la compassion pour que la Loi soit immensément répandue et pour donner le salut aux gens de ce monde" (Rationalité)


Un feu humain enflamme le mystère chinois

La raison de l’immolation intensifie la lutte contre le Falun Gong

Par Philip P. Pan

Washington Post Service Etranger

Dimanche 4 février 2001

KAIFENG, Chine – Il y a un quartier à l’Est d'une ville jadis glorieuse appelée Verger de Pommes, mais il n’y a pas de pommiers ici, seulement de mornes constructions de béton et  des groupes d’hommes sans travail  qui déambulent dans les rues boueuses. C’était là, au quatrième étage d’un appartement bâtiment 6 que Liu Chunling et sa fille de 12 ans Liu Siying, habitaient.

La mère était une femme tranquille et réservée, la fille une collégienne pleine de vie toujours souriante et ne manquant jamais de dire bonjour. Les voisins se souviennent qu’il y avait quelque chose à la fois d’étrange et de triste chez Liu Chunling, que parfois elle frappait son enfant, qu’elle envoyait promener sa mère âgée, qu’elle travaillait dans une boîte de nuit et se faisait payer pour tenir compagnie aux hommes.

Mais personne ne soupçonnait que Liu, 36 ans, ait pu appartenir au mouvement spirituel Falun Gong. Et c’est à peine si on remarqua que Liu et sa fille avaient disparu.

Et puis, alors on les a vus à la télévision nationale, leurs corps disparaissant dans des flammes oranges sur la place Tiananmen. On vit Liu Siying allongée sur une civière, le visage et les lèvres carbonisés, appelant plaintivement « Maman, maman ». Sa mère, rapporta le journaliste, était déjà morte.

Qu’est ce qui a amené les Liu et trois autres personnes de cette ville de la Province du centre du Henan, à  350 miles au sud de Pékin, à s’arroser d’essence et s’immoler le 23 janvier, veille du  Nouvel an chinois ?

Une bataille intense est en cour pour répondre à cette question, avec les cinq individus dans le rôle de victimes d’un culte  hérétique, et  justes contestataires d’un gouvernement répressif  ou des marginaux désespérés à frange d’une société en plein changement.

Le Parti Communiste au pouvoir a lancé une campagne tout azimut pour utiliser l’incident à l’appui de ses affirmations que le Falun Gong est un culte dangereux et pour retourner l’opinion publique chinoise et étrangère contre le groupe qu’il a interdit il y a 18 mois en  essayant de l’écraser parfois avec des tactiques brutales.

Chaque matin et soir, les médias contrôlées par l ‘Etat portent de nouvelles attaques contre le Falun Gong et son fondateur qui vit aux Etats Unis, Li Hongzhi. On a ordonné à des écoles «d’éduquer » les élèves sur la secte. Des groupes de discussion ont été organisés dans des usines, des bureaux et des universités. Des chefs religieux, d’aussi loin que le Tibet, ont écrit des dénonciations. A Kaifeng, la Poste a sorti une flamme anti-Falun Gong pour oblitérer les timbres, et 10,000 personnes ont signé une pétition publique contre le groupe.

La Chine a aussi utilisé l’incident pour faire pression sur HK afin qu’il interdise le Falun Gong, mettant à l’épreuve le « un pays, deux systèmes » qui donne à l’ancienne colonie britannique une autonomie dans ses affaires. Le Falun Gong existe légalement à HK, mais le chef de la sécurité du Territoire a averti jeudi que la police prévoyait de surveiller de près les activités du groupe.

Les porte-parole du Falun Gong insistent sur le fait que les Liu et leurs compagnons ne pouvaient pas être membres de leur mouvement qui prône un mélange de Bouddhisme, Taoisme et d’exercices traditionnels chinois de respiration. Ils ont rappelé que le Falun Gong interdit explicitement à la fois la violence et le suicide et donc suggèrent que le gouvernement a mis en scène l’incident.

D’autres activistes des Droits de l’Homme disent que les 5 se sont immolés pour protester contre la répression du Falun Gong, qui a eu pour conséquence des milliers d’arrestations et au moins 105 morts lors de détention. Selon le Centre d’Information des Droits de l’Homme et de la Démocratie tous, sauf la fillette de 12 ans Liu Siying, auraient auparavant protesté Place Tiananmen contre les actions de Pékin envers le Falun Gong.

Il y a une tradition de suicide de mouvance politique en Chine. Au début de la dernière dynastie de la Chine, dans les années 1640, des centaines de gens se sont suicidés plutôt que de vivre sous la domination Manchou. Plus de 250 ans plus tard, plusieurs étudiants se sont suicidés pour protester contre le refus de la Dynastie Qing d’établir une république constitutionnelle. Plus récemment, nombre de chinois ont choisi de mourir pour échapper aux abus de la révolution culturelle de Mao Zedong.

Mais il y a peu de précédent d’une immolation publique. Dans Kaifeng, une ville de 700,000 habitants qui était la capitale impériale de la Chine et une des villes les plus peuplée à la fin du dernier millénaire, la plupart des habitants n’ont pas vu d’un très bon oeil ce que Liu et les autres ont fait.

« Ils ont discrédité Kaifeng, ils ont discrédité la Chine devant  le monde entier. C’est vraiment trop » racontait Tang Shaohua, âgé de 60 ans, qui possède une petite épicerie juste au coin de la rue où habitait Liu.

« Ce qui est arrivé à cette petite fille, c’est si triste. Je la voyais régulièrement jouer ici » ajouta Zhang Binglian, âgé de 60 ans, « Falun Gong est vraiment un culte hérétique. Je pensais cela avant, et maintenant j’en suis de plus en plus convaincu ».

Mais même à Kaifeng, il y a des signes que les campagnes de propagande gouvernementale ont perdu un peu de leur efficacité. Plusieurs habitants expriment leur fatigue des atteintes sur le Falun Gong.

« Je ne dis pas que je ne crois pas ce que le gouvernement dit, mais je ne dis pas que j’y crois aussi » dit Liu Xiaoyu, âgée de 39 ans, alors qu’elle cuisait des boulettes dans le marché de nuit de Kaifeng ; « le gouvernement contrôle les nouvelles. Nous savons tous cela maintenant ».

Le chauffeur de taxi Wang Chaohui a dit qu’il croyait que Falun Gong était une religion comme une autre, et qu’il serait injuste de les tenir pour responsable des actes de 5 individus sur un groupe de millions de pratiquants. Dans tous les cas, dit-il, la lutte contre le Falun Gong était sûre de leur retomber sur dos.

« La Chine est différente maintenant, et ils ne peuvent pas arrêter tous ceux qui croient en quelque chose comme ceci » Il dit « Cela rend les choses beaucoup plus difficile ».

Wang dit que la vraie question que la chine doit se poser est pourquoi un tel nombre de personnes croient en quelque chose comme le Falun Gong. « Les gens sont mécontents avec la société. » dit-il « c’est çà  le problème »

Comme dans le reste de la Chine, Kaifeng a connu une recrudescence pour toutes sortes de religions, puisque l’idéologie communiste a perdu de son attrait. Depuis ces dernières dizaines années, les habitants se sont tournés, en grand nombre, vers la Chrétienté, le Bouddhisme et le Taoisme – et le Falun Gong. Avant que le mouvement ne soit interdit, des centaines pratiquaient les exercices de  méditation dans les parcs de la ville.

Falun Gong a attiré une population chinoise variée – des membres du Parti, des hauts officiers militaires, des bureaucrates, des professeurs et des millions de personnes vivant en marge de la société. A Kaifeng, où plusieurs usines avaient fermé et où l’économie s’est effondrée, beaucoup ont alors cherché quelque chose dans laquelle ils pouvaient croire.

Les médias de l’état a peu parlé des raisons pour lesquelles les 5 personnes immolées avaient rejoint le Falun Gong. Beijing a refusé des demandes faites pour interviewer Liu Siying et les 3 autres survivants qui étaient hospitalisés pour de graves brûlures. Un officiel de Kaifeng a dit que seules la télévision centrale chinoise et l’agence de presse officielle nouvelle chine étaient autorisées à d’entretenir avec les proches parents et les collègues de travail. L’homme qui ouvre la porte du domicile de Liu se réfère au gouvernement.

Mais les voisins du Verger aux Pommes de Liu Chunglin la décrivent comme une femme de mauvaise vie qui souffrait de problèmes psychologiques. La presse d’état  identifia Hao Xiuzhen âgée de 78 ans comme sa mère adoptive. Les voisins ont dit qu’elles se querellaient souvent avant que Liu ne la renvoie de chez elle l’année passée.

« Il y avait quelque chose qui n‘allait pas chez elle » selon les dires de Liu Min, 51 ans. «Elle battait sa mère, et sa mère pleurait et hurlait. Elle battait sa fille aussi ».

Il y avait aussi des questions sur son mode de revenus et le lieu où se trouvait le père de sa fille. Les voisins ont dit que Liu n’était pas née à Kaifeng, et qu’un homme du sud de la province de Guangdong payait son loyer. D’autres, incluant son voisin Wen Jian, 22 ans, a dit que Liu travaillait dans une boîte de nuit locale et était payée pour souper et danser avec les consommateurs.

Jamais quelqu’un l’a vue pratiquer le Falun Gong.